Natalia de Froberville, de l'Oural aux Pyrénées
16 octobre 2017 : Natalia de Froberville, une Giselle russe au Capitole de Toulouse Arrivée sur les rives de la Garonne pour la saison 2016-2017, Natalia de Froberville n'était déjà plus une complète inconnue pour le public français. Elle s'était en effet déjà produite - dans Giselle justement, en tant que soliste invitée au Ballet National de Bordeaux. Formée en Russie, à Perm, sur les contreforts occidentaux de l'Oural, c'est maintenant pour sa compagnie d'adoption, le Ballet du Capitole de Toulouse, qu'elle va reprendre le rôle-titre de ce ballet emblématique du répertoire romantique, français et russe, puisque Marius Petipa adapta pour le Mariinsky le chef-d'œuvre de Jules Perrot et Jean Coralli.
La première chose qui intrigue c'est votre nom à consonance française... C'est le nom de mon mari, qui est français. Quand je me suis mariée, j'étais certaine que j'allais un jour ou l'autre quitter la Russie et je voulais vraiment marquer le choix d'une nouvelle vie en abandonnant mon nom russe. Avant votre engagement au Ballet du Capitole, vous aviez déjà dansé en France, à Bordeaux notamment, non? Oui, j'étais très heureuse d'avoir été invitée plusieurs fois par Charles Jude à Bordeaux pour La Belle au bois dormant puis pour Giselle. A ce moment je cherchais un contrat dans une compagnie européenne. J'étais mariée depuis trois ans et mon mari et moi vivions trop loin l'un de l'autre. Ce n'était plus possible. J'ai passé une audition à Toulouse. Kader Belarbi m'avait proposé un contrat mais il était curieux de me voir sur scène et il est venu à Bordeaux me voir en Giselle dans la production de Charles Jude. Les deux compagnies, de Bordeaux et de Toulouse, sont très proches l'une de l'autre et je suis très reconnaissante envers Charles Jude de m'avoir donné la chance de venir dans la région. Précédemment vous étiez soliste dans d'autres compagnies? J'étais principal au ballet de Perm. C'est un grand opéra, qui abrite la troisième plus grande compagnie de ballet de Russie. J'y ai passé cinq années très heureuses. L'atmosphère est beaucoup plus chaleureuse que dans les énormes maisons que sont le Bolchoï ou le Marinski où la compétition est très dure. Je suis née à Perm, j'avais donc l'impression de revenir à la maison, et j'aimais beaucoup le travail fait là-bas et le répertoire abordé avec des chorégraphes comme Kylián, Forsythe, MacMillan... Comment abordez-vous ce rôle de Giselle dans la version de Kader Belarbi? Je l'ai déjà dansé une fois à Montpellier, mais je le présenterai pour la première fois au public toulousain, à notre public, dans notre théâtre. C'est très important. Cette version est complètement nouvelle pour moi, très différent des anciennes versions que j'ai déjà dansées, en particulier dans le premier acte, alors que le deuxième acte est plus classique. Kader conserve les éléments traditionnels du ballet mais en les rendant plus proches de nous, comme une histoire de notre siècle. Giselle est une des meilleures écoles pour le ballet. Il y a tout dans cette œuvre de génie. C'est comme le soleil et les ténèbres. Il faut passer du bonheur total à la souffrance la plus profonde. Kader garde clairement cette idée dans sa version. On peut voir des gens célébrer la vie, s'aimer, boire du vin, heureux de danser. Dans le deuxième acte au contraire, ils dansent leur souffrance. C'est une idée très forte, qui rend ce ballet unique, et que Kader a mis en évidence, notamment avec les danses des paysans, et des deux ivrognes, si particulières et paraissant si naturelles, si proches de nous. Et soudain vous voyez la face sombre de la danse et de la souffrance. Vous comprenez pourquoi Giselle souffre et devient folle. La vérité des personnages est là....
Sur le plan purement technique, vous avez été formée à l'école russe, comment vous adaptez-vous ici? Bien sûr je me suis adaptée à présenter tel pas ou tel mouvement à la manière française. C'est normal. Avant d'être à Perm, j'étais en Ukraine qui développe un style encore un peu différent, alors qu'à Perm on est rigoureusement attaché à la vieille école Vaganova. Mais je pense que le langage du ballet est universel. Les Français sont fantastiques pour leur petite technique du cou-de-pied. Quand un professeur français donne un cours de petits sauts, je trouve ça incroyable car ce n'est pas du tout mon école. J'ai encore beaucoup à apprendre et je suis très heureuse d'aborder et d'apprendre des choses nouvelles de mon nouveau directeur et de ma nouvelle compagnie. Ce n'était pas possible à Perm où on est moins ouvert sur les autres cultures, de même que dans les autres théâtres en Russie. Mais il est important de maintenir la technique classique au plus haut niveau. L'idée selon laquelle «c'était mieux avant» est largement répandue mais c'est faux. Nous avons toujours de beaux danseurs à notre époque. L'important c'est l'émotion que vous transmettez sur la scène. Le public vous pardonnera si vous ne faites pas les quatre ou cinq pirouettes mais il ne vous pardonnera pas s'il ne comprend pas ce que vous faites, ni pourquoi vous le faites. Le problème de la jeune génération est qu'ils deviennent célèbres très tôt. Avec les réseaux sociaux, des enfants encore en apprentissage diffusent leurs photos ou vidéos et reçoivent 300 "like". Mais après? Est-ce que ça les aidera quand il faudra le refaire sur scène? Aimez-vous la vie toulousaine? C'est une ville tellement formidable. J'apprécie tout particulièrement la nourriture. Parfois pourtant, mon «ciel de fer», le ciel gris de Perm me manque. C'est la mélancolie russe. En ce sens je suis peut-être très russe. C'est l'avantage de notre profession que d'être libre, de chercher la meilleure maison pour soi. En Russie il est très difficile passer de d'une compagnie à l'autre car il y a une énorme rivalité entre elles. La carrière d'un danseur est courte et je n'étais plus une jeune étudiante lorsque je suis venue à Toulouse. J'ai fait l'effort de me mettre en position d'apprendre, comme une page blanche. Un danseur doit garder l'esprit en éveil. Si vous avez faim de nouveauté, vous continuerez de progresser chaque jour. En tout cas, il est important de toujours essayer, de ne pas avoir peur, pour ne pas regretter ensuite.
Natalia de Froberville - Propos recueillis et traduits de l'anglais par Jean-Marc Jacquin
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Entretien réalisé le 16 octobre 2017 - Natalia de Froberville © 2017, Dansomanie