Montpellier Danse : Assaf/Godder/Kogan par le Ballet du Capitole
Trois pièces distinctes, trois chorégraphes israéliens : le Ballet du Capitole a relevé le challenge d'une compagnie classique installée en Occitanie, mais ouverte à l'universel de propositions chorégraphiques contemporaines, dans le cadre de la saison France-Israël, qui ont globalement suscité l'adhésion du public
Invité pour la deuxième fois par Montpellier Danse, le Ballet du Capitole se devait de relever plusieurs défis, dont celui de renouveler, auprès du public montpelliérain, l'impression d'un académisme certes fringant après le remontage par Kader Belarbi de Giselle, chef d'oeuvre du ballet romantique mais tout de même daté de 1841, programmé dans la saison de Montpellier Danse en novembre 2016. Et ce, dans le même temps, pour asseoir sa réputation de compagnie d'envergure nationale, sinon internationale, ancrée dans le territoire régional dont il se trouve être la tête de pont à Toulouse, capitale de l'Occitanie.
Mieux que cela : Son programme dédié aux trois chorégraphes d'origine israélienne, Roy Assaf, Yasmeen Godder et Hillel Kogan, s'inscrivait dans le cadre de la saison officielle France-Israël 2018, ce qui n'était pas sans soulever quelques appels au boycott de la saison dans son ensemble au prétexte qu'elle serait « l'un des moyens mis en œuvre par le gouvernement israélien pour redorer le blason de l'Etat d'Israël ». Un semblable motif était du reste invoqué pour la soirée de la Batsheva donnée les 28, 29 et 30 juin au Théâtre de l'Agora, induisant un même déploiement des forces de police. A cela s'opposait le communiqué distribué en salle les 2 et 3 juillet, signé de Christophe Ghristi, directeur du Capitole, Kader Belarbi, directeur de la Danse au sein de la même institution, Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellier Danse, et Jacky Ohayon, directeur du Théâtre Garonne, stipulant que « nos plateaux ne sont pas des portes drapeaux de politiques conduites ailleurs », rajoutant que « la liberté d'expression est un droit non négociable, où qu'il s'exprime » et que « la censure ne saurait en aucun cas être légitime, d'où qu'elle provienne ».
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Ceci dit, c'est peu de souligner à quel point les créateurs aujourd'hui témoignent d'une vision critique à l'égard des relations entre l'Art et le politique. A fortiori s'il s'agit de chorégraphes israéliens, tels que Roy Assaf, Yasmeen Godder et Hillel Kogan, bien davantage préoccupés de questions esthétiques voire sociologiques (une autre vision du politique) – ce qui a très heureusement surpris le public et suscité son adhésion.
Programme du reste varié par la qualité nettement identifiable des trois pièces au programme. De quoi balayer l'académisme néo-classique dans la version humoristique qu'en donne l'Adamde Roy Assaf, plonger dans le néo-romantisme déchiré du Mighty Real de Yasmeen Godder et s'offrir à la découverte des ressorts cachés de l'institution du Ballet du Capitole grâce au Stars and dust de Hillel Kogan.
D'entrée de jeu, le plateau d'Adam, immense et minimaliste cube noir posé sur un sol blanc, induisait la perspective d'une tabula rasa métaphore de la Genèse, dont les onze interprètes vêtus de maillot couleur "nude" figuraient la descendante progéniture. Pour autant, Roy Assaf se fait du démiurge une idée folâtre et joueuse en construisant sa pièce, dans une première partie, sur un dispositif répétitif et ludique : soit une alerte enfilade, ponctuée du Clair de lunede Debussy, de duos faussement naïfs où l'un des partenaires se tient immobile, laissant à l'autre l'occasion d'une cour sensuelle, affectueuse et espiègle, prétexte à claques, caresses et sous-entendus érotiques, qui passaient au crible les deux faces recto-verso du vocabulaire néo-classique.
"Adam" - Roy Assaf / Ballet du Capitole © Ida Jakobs
Plus rebelle encore, la deuxième partie ornée des accords cristallins de la Suite bergamasquede Debussy, se donnait des airs quasi dadaïstes, les danseurs scandant leurs évolutions par l'évocation à voix haute des parties électives de leur corps : « coude, estomac, cœur, sexe ...» - sorte d'inventaire à la Perec, où s'immisçaient des poses de sorcières que n'aurait point renier Valeska Gert. Un pur moment de réjouissances où les danseurs se faisaient les artisans appliqués d'une démonstration drolatique.
C'était sans doute le contraste qu'il fallait pour aborder le maniériste et romantique Mighty Real de Yasmeen Godder. La conjonction dans cette pièce d'un décor dénudé, barré en son fond d'une palissade infranchissable, encadré de lourds rideaux noirs torsadés en chignon, et d'une danseuse parée d'un long manteau de velours fauve, soutien-gorge gris argent et pantalon flottant noir à bandes blanches, favorise la perception d'une de ces antichambres morbides où aurait pu échouer Sarah Bernhardt.
Mighty Real - Yasmeen Godder / Ballet du Capitole © Ida Jakobs
De l'illustre tragédienne, Kayo Nakazato qui interprète le solo non sans quelque raideur, semble avoir retenu les élans déchirés, les postures ataraxiques et les douleurs muettes, le tout tendu sur le fil ensorcelé de la partition de Tomer Damsky, un collage découpé de silences à partir du Concerto en ré mineur n°1 de Bach . Mais ceci n'a qu'un temps.
Embarquée dans l'étourdissement d'une déflagrante disco, l'hétaïre se mue en rebelle au cours du dernier quart d'une éprouvante crise et, chaussée de baskets, entame une résurrection athlétique et disjonctée que clôt un long cri d'agonie rauque terminé en râles. Crépusculaire, ce solo hybride et angoissé ne paraît pas aller jusqu'au bout de sa logique paradoxale et n'émet pas de message suffisamment clair : une descente aux enfers ou une transcendance ?
Bouffée de jouvence enfin dans la troisième partie du programme, une création de circonstance pour le Ballet du Capitole, teintée de ce cabotinage relationnel et convenu qui active la complicité du public. Ironiquement titrée Stars and dust (Etoiles et poussière), la pièce se fonde sur le mix d'une performance humoristique couplée à des saynètes chorégraphiées. Hillel Kogan s'y est posé comme un découvreur de talents et d'identités, pour mettre au jour les contextes où s'inscrivent aussi bien les danseurs que Kader Belarbi lui-même, ainsi que les enjeux économiques auxquels est soumis le Capitole de Toulouse – prétexte à plaisanteries pour dépoussiérer les secrets des grandes institutions provinciales. C'est fun, c'est drôle, ça ne manque pas de culot, mais c'est au final un peu léger s'agissant de l'inventivité chorégraphique.
"Stars and dust" - Hillel Kogan / Ballet du Capitole © Ida Jakobs
Le spectacle débute dans le noir dominé par une sorte de récréation où les danseurs donnent du souffle en sifflotant sur un mode à la Prévert, avant de décliner en pleine lumière leur identité. Il se poursuit dans un talk show en voix off où intervient Kogan lui-même pour offrir un décryptage amusé de l'image de marque du Ballet de Capitole ainsi que de son chorégraphe, telle qu'elle figure sur son site via Google, projection donnée à l'appui.
La composition alterne ensuite entre pauses et démonstrations de postures néo-classiques (quelques pas saccadés empruntés à Michael Jackson) – le tout agrémenté d'allusions crânes à des clichés régionaux : cigarette, fumée d'opium (sic), foie gras et baguettes de pain – ce dernier point activant des références à Dali, baguettes en équilibre sur la tête ou déposés en autant de croix pour le final - la catalanité toulousaine et un zeste de surréalisme pour exhumer le substrat culturel d'une métropole bigarrée en devenir chorégraphique.
Lise OTT
Vu au Théâtre de Grammont le 2 juillet 2018 dans le cadre de Montpellier Danse